mercredi 11 avril 2012

Tout, vous saurez tout sur… Nicolas Flamel

COMMENÇONS PAR PLANTER LE DÉCOR…
Partons nous promener dans un cadre fascinant et inquiétant: Le Paris médiéval, celui du temps de Charles V et Charles VI.
Partons à la rencontre de l’un des alchimistes les plus célèbres de tous les temps…
Rappelons que les alchimistes partaient de métaux vils pour aller vers les métaux précieux, mais l’alchimie cela va bien plus loin que ça.
Lançons nous sur les traces d’un homme célèbre parmi les alchimistes… les alchimistes, ces faiseurs d’or, ces curieux chercheurs au savoir immémorial qui prétendent détenir le secret de la pierre philosophale.
Mais la pierre philosophale, c’est quoi ?
Une mystérieuse substance capable de changer les métaux ordinaires en or pur, capable aussi de guérir les malades et prolonger la vie indéfiniment.
Le problème de la plupart des alchimistes est qu’ils cherchaient la pierre philosophale mais ne la trouvaient pas. Leurs recherches sempiternelles ne les rebutaient pas tant, ils cherchaient, continuaient, ils étudiaient, ils peaufinaient leur savoir sans se décourager, d’autant que certains, très rares, étaient réputés avoir réussi. Et au premier rang de ceux-là, il y a un certain Nicolas Flamel. Partons à sa rencontre…
Mais ou chercher Nicolas Flamel?
En plein Paris. A l’église Saint Jacques qui fut détruite à la révolution. On a préservé son clocher car on pensait à l’époque que c’est du sommet de celui-ci que Pascal a effectué des expériences décisives sur la pesanteur, d’où ce vestige incongru en plein cœur de Paris.
A présent imaginons … reconstruisons cette église Saint Jacques de la Boucherie qui est le point d’ancrage de parisiens coléreux et rebelles, mais nous y reviendrons.
Cette paroisse est indépendante et se situe entre les églises Notre Dame et Saint Martin des Champs.
Oublions les hauts immeubles haussmanniens et rebâtissons de petites maisons de bois et de torchis, des maisons à colombages pour la plupart.
Imaginons ce quartier cerné d’ateliers de tanneurs du coté de la Seine, d’échoppes de bouchers; forcément les ruisseaux dans le milieu des rues et ruelles charrient un peu de sang, cela fait partie de l’ambiance. L’atmosphère est assez pestilentielle… Ne grimacez pas comme ça… il est vrai que les cochons se promènent librement dans les rues. Il y a aussi beaucoup de bruit, des échos de conversations, de disputes, d’échanges marchands: Bienvenue à Paris au XIVème. Mais partons à présent à la recherche de notre alchimiste…
Citons simplement quelques lignes du livre sept de L’histoire de France de Michelet:
Ce sont d’étranges époques: on nie, on croit tout. Une fiévreuse atmosphère de superstition celtique enveloppe les villes sombres. L’ombre augmente dans leurs rues étroites, le brouillard va s’épaississant au brouillard d’alchimie et de sabbat. Les croisés obliques ont des regards louches, leur boue noire, les carrefours grouillent en mauvaises paroles…
Le tableau est sans doute un peu noirci mais comment ne pas se laisser prendre, c’est si bien dit…
Nous sommes donc en 1357, nous approchons de l’angle de la rue des Écrivains et de la rue des Marivaux (les Marivaux étant des marais au moyen-âge).
L’on voit une assez jolie maison à l’enseigne de la fleur de lys. Il n’y a bien sur pas de numéro de rue à l’époque, on se repaire donc aux enseignes.
On se trouve au beau milieu de la paroisse Saint Jacques de la Boucherie, ne l’oublions pas.
Michelet nous dit encore:
Saint Jacques de la Boucherie était la paroisse des bouchers et des lombards, de l’argent et de la viande. Dignement enceinte d’écorcheries, de tanneries et de mauvais lieux, la sale et riche paroisse s’étendait de la Trousse-vache au quai des Peaux de Pelletier. A l’ombre de l’église des bouchers, sous la protection de ses confréries, dans une chétive échoppe, intriguait, amassait Flamel et sa vieille Pernelle. Gens avisés qui passaient pour alchimistes et qui de cette boue infecte surent en effet tirer de l’or.
QUI EST DONC CE NICOLAS FLAMEL?
Pourquoi est-ce que Michelet, dès qu’il nous parle de cette paroisse Saint Jacques de la Boucherie, focalise t-il sur Nicolas Flamel et sa vieille Pernelle comme il dit ?
Et bien parce que Flamel est justement réputé avoir percé le secret de la pierre philosophale. Si l’on s’en tient à la tradition, il aurait bel et bien transformé du plomb en or.
Mais entrons dans l’échoppe de Sainte Pied sur Seine, au rez-de-chaussée de cette maison d’angle.
Quel est vraiment le métier de Nicolas Flamel? Car l’alchimie est une vocation mais pas un métier.
L’occupation officielle de Flamel est symptomatique, habituelle au quatorzième siècle, il est écrivain public. N’oublions pas qu’à cette époque l’imprimerie n’existe pas. Les livres sont constitués de parchemins qu’il faut préparer en codex et sur ces livres, inlassablement on copie et on recopie les textes dont on a besoin. Il faut beaucoup de copieurs, que l’on appelle “escrivains” et Nicolas Flamel est l’un deux.
Si l’on continue de suivre Michelet, Flamel n’est pas écrivain juré, c’est à dire qu’il n’est pas agrée par l’université de Paris et ce serait la raison pour laquelle qu’il serait venu s’installer à l’ombre de cette drôle d’église sous la protection  du curé de Saint Jacques, personnage puissantissime. Il n’est pas prêtre mais greffier du parlement et donc homme de très grande et vaste influence. Donc Flamel n’est pas écrivain juré mais bachelier ès Arts et écrit aussi bien latin que français. Il fait aussi office d’écrivain public et à ses heures de maître de calligraphie de relieur. En bref, une sorte d’ancêtre de nos libraires et reprographe.
IL ÉTAIT UNE FOIS…
Voici Flamel sur le pas de sa porte. C’est une homme d’une trentaine d’années environ, on dit qu’il serait né vers 1330 du coté de Pontoise. Assez grand, brun, pourvu d’un beau visage et d’un regard à la fois vif et aimable. Rien à voir avec l’image répandue du vieillard mutin caché par une énorme barbe blanche et auréolé du prestige un peu sulfureux de ses pouvoirs occultes. On est encore loin du profil type de l’alchimiste et pour cause, Flamel n’est pas encore alchimiste. Il ne pense même pas à la pierre philosophale, il ignore tout du prestige, du long parcours de sagesse que la recherche de cette pierre implique. Au milieu du XIVème siècle, Nicolas Flamel n’est donc pas encore alchimiste.
L’est-il vraiment devenu par la suite ?
C’est ce qu’il affirmera dans son maître-livre à condition qu’il l’ait écrit lui-même. Mais nous verrons par la suite ce qu’il faut penser de tout cela. Pour le moment laissez-moi vous conter ce qui constitue l’un des plus fabuleux destin de cette période trouble et vous la conter telle que la tradition nous l’a transmise.
La vie de Nicolas Flamel va basculer à cause d’un songe. En effet, une nuit il rêve d’un ange vêtu de lumière qui lui apparait et qui tient à bout de bras un gros livre dont la couverture est en cuivre doré.
Regarde bien ce livre
lui dit l’ange,
” tu n’y comprendras rien, ni toi ni bien d’autres mais un jour tu y verras ce que les autres ne pourront voir.
Alors Flamel veut voir le livre mais l’ange ne le laisse pas faire. Flamel tend les mains et l’ange recule, il sourit, il s’éloigne puis finalement disparait. Flamel s’éveille en sursaut avec le sentiment que ce rêve est plus qu’un rêve, comme s’il était réel, palpable, un songe plus fort, plus réel que la réalité.
Alors pendant plusieurs jours le jeune écrivain public restera habité par son rêve, aura du mal à s’en remettre, puis le temps passe. Il fait son œuvre et le souvenir de l’ange et du livre s’estompe, la vie reprend le dessus.
Jusqu’au jour ou dans l’échoppe de Nicolas Flamel, au coin de la rue des Marivaux donc, se tient un petit homme vêtu de bure, au visage parcheminé, qui porte un lourd paquetage. Le bonhomme semble complètement épuisé.
Oh, vous semblez venir de loin” lui dit Flamel,
Vous êtes fatigué n’est-ce pas? Tenez, asseyez-vous donc sur cette escabelle.
L’homme ne se fait pas prier. L’écrivain public lui laisse le temps de reprendre son souffle, lui sourit et lui demande:
Eh bien mon ami, vous m’apportez quelque chose à copier?
Non, j’ai un livre à vendre” lâche le voyageur, “un livre très rare.”
Il joint le geste à la parole, sort de son paquetage un gros volume bien emballé et le tend à Flamel. Celui-ci ne sait trop quoi en penser. Il regarde son visiteur puis entreprend de déballer le livre. Un livre à la reliure de cuivre doré, avec les mêmes fermoirs alambiqués que dans le rêve. Flamel sent le sol se dérober sous lui et finit par ouvrir le livre. Et sur les très vieilles pages du livre, pages en écorce, il retrouve exactement les signes étranges que l’ange dans son rêve lui avait montré.
Mais dans notre histoire, Flamel est encore loin de cet élixir et du secret des alchimistes. Il vient d’acquérir cet espèce de grimoire très étrange des mains d’un voyageur non moins étrange qui s’est défait de son fardeau sans plus d’explication.
Les pages sont couvertes de signes étranges, presque cabalistiques. Elles sont couvertes de soleils et d’étoiles, de personnages ailés, de signes hermétiques du nom du dieu Hermès.
D’ailleurs on distingue le caducée d’Hermès sur l’une de ces pages, on y trouve aussi des dragons à la queue fléchée, d’étranges serpents à la queue crucifiée. Bref, Flamel ne peut qu’être intrigué par le contenu de ce livre qui lui a été annoncé en songe.
Nous sommes donc dans une idée de révélation.
Flamel est lettré nous le savons, il maitrise parfaitement le français et le latin, peut-être d’autres langues. Il déchiffre ce qu’il peut et tombe sur une sorte d’adresse inaugurale qu’il décrira ainsi:
Il m’apparut que je ne saurais déchiffrer ces mots qui n’étaient ni latins ni grecs… Quant aux pages intérieures. les signes m’en semblèrent avoir été gravés avec un stylet de métal sur de l’écorce…Sur la première page, l’inscription suivante était tracée en lettres d’or:
Abraham, juif, prince, prêtre, lévite, astrologue, philosophe, à la nation des juifs par l’ire de Dieu dispersé aux Gaules, salut.””
La dédicace était suivie d’anathèmes proférés à l’encontre de quiconque ouvrirait ce livre sans être prêtre ou scribe.
Il y a donc un message dans ce livre, qu’il convient d’essayer de comprendre. L’écrivain de plus en plus intrigué va passer du temps à scruter, à décrypter ces pages antiques, et à force de recouper des éléments, à force de regarder, détailler le moindre indice de cet énorme codex, ce précieux grimoire qui contient tant d’étranges secrets d’ordre alchimique, de ceux qui ont trait à la transmutation des métaux vils en or.
Comme nous l’avons déjà dit, l’alchimie ce n’est pas seulement la transmutation mais c’est d’abord cela, et c’est bien sur ce qui fait rêver, on peut même dire que c’est ce qui motive les chercheurs à appréhender cet extraordinaire savoir.
Alors comment déchiffrer ces pages, comment les faire siennes?
Nicolas Flamel s’y occupe durant des mois.
On sait qu’il se marie vers 1360 avec une jeune veuve, Dame Pernelle, qui a environ quarante ans à l’époque. Elle est un esprit curieux et elle va non seulement aider Flamel, le motiver davantage, mais elle va aussi s’intéresser personnellement à la question. Il l’a mise entièrement dans le secret, ils travaillent donc tous les deux pendant des mois entiers et Dame Pernelle est convaincue, car elle a fréquenté dans sa jeunesse un certain nombre de savants juifs. Elle est convaincue de la dimension cabalistique de l’œuvre. Il y a bien là un rapport avec la cabale. Il faut selon elle trouver des savants juifs, il faut travailler avec les juifs, ce sont eux qui donneront la clé de cette affaire.
Il faut dire que dans le Paris de Charles V et au tout début du règne de Charles VI, les juifs sont tout juste tolérés. Ils font d’ailleurs assez souvent figure de bouc émissaire et bien entendu il n’est pas facile ni de les rencontrer, ni de les faire parler de leurs secrets et de la cabale. Pour le couple Flamel, ça n’est évidemment pas facile. Les mois passent, puis les années, cela va durer très longtemps. On sait qu’ils ont tendance à s’intéresser de plus en plus à leur grimoire, ils le connaissent maintenant par cœur. Nicolas Flamel en a effectué une copie complète. Ça à duré dix-huit ans, ce travail de recherche, de copie, de scrutation infinie. Et en 1378, donc Nicolas Flamel a en gros la cinquantaine, il a maintenant une position bien établie, il n’est toujours pas écrivain juré mais a une véritable place parmi les libraires de Saint Jacques de la Boucherie. Il a un peu d’argent et décide de partir en pèlerinage à Saint Jacques de Compostelle. Quand vous tenez échoppe au pied de l’église Saint Jacques qui est l’un des principaux points de départ des grands pèlerinages pour Saint Jacques De Compostelle, c’est presque une obligation. Mais évidemment Nicolas Flamel a une arrière pensée: il se dit que s’il pouvait approcher les sénats juifs de la péninsule ibérique, s’il pouvait aller en Espagne par ou provient le vieux savoir alchimique, il ferait sans doute des progrès dans le décryptage de son étonnant livre.
Il décide donc de se joindre à un groupe de pèlerins de Saint Jacques pour s’approcher de l’Espagne et surtout et surtout pour approcher les savants juifs de la province de Léon.
Nous sommes donc à l’approche de Saint Jacques de Compostelle. Vous savez qu’à l’époque on fait le voyage à pied bien entendu. C’est un énorme investissement, c’est vraiment le projet d’une vie d’effectuer ce genre de pèlerinage, et dans la province de Léon il y a un grand nombre de spécialistes de la cabale.
Et parmi tous ceux qu’il va croiser, qu’il va tenter de convaincre et de séduire avec des copies du livre qu’il a littéralement cousues dans la doublure de son manteau.
Parmi tous ces grands savants, Nicolas Flamel fait la connaissance d’un certain médecin convertit qui s’appelle Canches. Or ce Canches est alchimiste. Et dès qu’il voit, dès qu’il a possession des copies que Nicolas Flamel a pu faire de son extraordinaire grimoire, immédiatement il se convainc de l’importance de l’ouvrage.
” Mais je veux voir l’original” dit-il à Flamel
” Mais l’original n’est pas là, il est très lourd, je l’ai laissé à Paris!”
” Eh bien dans ce cas j’irai à Paris avec toi et ensemble nous déchiffrerons tout ceci”.
Et les voici qui se remettent en route, toujours à pied, cette fois dans la direction de Paris.
Ils retraversent toute la France avec toutes ces haltes, toutes ces étapes sur le chemin de Saint Jacques. Et pendant qu’ils cheminent, Canches et Flamel parlent, se livrent un certain nombre de secrets et Canches va peu à peu initier Nicolas Flamel au secret du Grand Œuvre.
C’est très fatiguant pour un homme comme Canches qui est un vieux monsieur. C’est un énorme voyage, une interminable pérégrination à travers les différentes provinces jusqu’à Orléans ou Canches est épuisé et il va mourir avant d’arriver à Paris, avant d’avoir pu voir de ses propres yeux le fameux grimoire original.
Mais Flamel a pu obtenir pendant ce long voyage suffisamment d’éléments pour arriver lui-même à décrypter ce qui jusqu’alors lui restait définitivement fermé.
Nicolas enterre son ami Canchez à Orléans et reprend sa route jusqu’à Paris ou il va retrouver Dame Pernelle.
Je détenais, écrit-il, le secret des éléments fondamentaux, mais non celui de leur préparation première, ce qui représentait une incommensurable difficulté…
On peut dire que le long parcours de Flamel sur la route est un véritable parcours initiatique. Il retrouve donc sa femme et les voici qui se mettent immédiatement à l’ouvrage.
Près de deux ans et demi ont passé depuis le départ de Nicolas Flamel. Ils essaient de remettre tous les éléments en ordre, ils les juxtaposent, les interprètent, les mettent en perspective puis peu à peu arrivent au grand secret. Si l’on en croit Nicolas Flamel ou en tout cas l’ouvrage publié sous son nom:
Je trouvai enfin ce que je cherchais si ardemment, et que je reconnus à sa senteur pénétrante… Je pouvais désormais accomplir le Magistère… La première fois que j’effectuais la transmutation, ce fut avec du mercure, dont je transformais une demi livre 227 g en argent fin, plus pur que celui qui sort de la mine, ainsi que je le vérifiais en faisant l’essai. Ceci eut lieu un lundi, le 17 janvier, en l’an de grâce 1382, à mon logis et en présence de mon épouse Pernelle.”
Vous imaginez, tant de générations qui ont jusqu’alors donné tout pour tenter d’arriver à ca résultat, eh bien Nicolas Flamel avec l’aide de sa femme y est parvenu, il a découvert le grand secret.
Trois mois plus tard, Nicolas Flamel réussit sa première transmutation en or.

VOUS AVEZ DIT ALCHIMIE?
L’alchimiste devait maîtriser trois techniques:
  • L’œuvre au noir qui consiste à débarrasser la matière de ses impuretés,
  • L’œuvre au blanc consistant à fabriquer la pierre blanche qui va transmuter les métaux ordinaires, vils, en argent, puis
  • L’œuvre au rouge qui permet de fabriquer la pierre rouge et donc de transformer le mercure en or.
Ces alchimistes nous on fait énormément rêver et continuent de le faire. Mais essayons de comprendre quelle est cette discipline qu’on appelait l’alchimie et qui est peut être moins sulfureuse que ce que les écrivains de l’époque romantique ont voulu nous faire croire.
Aujourd’hui encore un grand nombre d’artistes font référence aux alchimistes. Je pense par exemple à Charlebois et sa chanson ” Je m’appelle Nicolas Flamel“.
Bien sur Marguerite Yourcenar qui a popularisé la notion d’alchimie et ses rites dans son célèbre roman “L’œuvre au noir” ou elle nous parle avec brio de l’Opus Nigrom.
En fait, la grande question que se posaient les alchimistes était de savoir si oui ou non il y avait quelque chose au bout de cet interminable chemin. Nicolas Flamel paraît dire Oui.
Si l’on en croit le Livre Des Figures Hiéroglyphiques signé de Flamel, l’écrivain public de la paroisse en compagnie de son épouse serait donc parvenu là ou tant d’autres ont échoué et échoueront par la suite.
Cette transformation des métaux vils en métaux précieux serait à l’origine de la fortune du ménage Flamel qui dans ces années se met à faire le bien autour de lui.
On voit les Flamel acheter des maisons, ils en revendent, en rachètent, en font construire aussi, notamment sur des terres achetées au prieuré Saint Martin des Champs. Ils achètent la maison du grand pignon ou ils logent des artisans pour un loyer vraiment modique. Ils logent également gratuitement les laboureurs, on les voit fonder des confréries d’artisans, ils se mettent à prêter certaines sommes au trésor royal, ils font des dons à plusieurs paroisses, des hôpitaux…
Pour leurs contemporains, il n’y a pas de doute possible, le seul moyen d’expliquer cette fortune est que Nicolas Flamel ait été capable de fabriquer de l’or.
INFO OU INTOX? Le point de vue du spécialiste.
Nous sommes allé loin dans le conte. Un conte fantastique bien sur, seulement voilà, cette histoire est complètement fausse car fondée sur des sources éminemment contestables.
Alors tentons de démêler le vrai du faux.
D’après l’historien Didier Kahn, chargé de recherche au C.N.R.S. et spécialiste de l’alchimie, nous allons faire un sort à cette belle, magnifique légende de Nicolas Flamel.
Nous avons beaucoup insisté sur la transmutation des métaux ordinaires en métaux précieux mais l’alchimie c’est tout autre chose.
On disait que les alchimistes détenaient un élixir de longue vie, qu’ils pouvaient vivre très longtemps. En l’occurrence Nicolas Flamel est mort à Paris en 1418, on le disait pratiquement nonagénaire.
Certains ont même prétendu qu’il n’était pas mort et qu’avec Dame Pernelle il avait organisé de fausses funérailles pour aller se retirer dans les Indes.
près de trois siècles plus tard: le célèbre voyageur Paul Lucas affirmera avoir rencontré Nicolas Flamel et Dame Pernelle aux Indes. Ils étaient toujours bien portants et étaient évidemment très riches.
Alors que devons nous penser de ces légendes?
Il y a forcément une part de crédulité dans cette aventure alchimique. Il faut croire à la possibilité de transformer les métaux, transformer le plomb en argent et le mercure en or.
Mais la possibilité théorique existait nous explique Didier Kahn et d’ailleurs la physique moderne a prouvé que c’est possible mais à quel prix!
Il faut des accélérateurs de particules et cela coute des millions d’euros, ce n’est donc pas vraiment rentable…
Mais c’était parfaitement possible en théorie dans les conceptions scientifiques de l’époque. Certains alchimistes dès le quatorzième ont été capables de produire des théories qui tenaient parfaitement la route. En même temps il faut se représenter l’alchimie jusqu’à la fin de l’ancien régime comme jouissant d’un statut identique qu’aujourd’hui la psychanalyse. C’est à dire que c’est une discipline acceptée par un grand nombre de gens et tenue pour fadaise par un grand nombre d’autres. en fait, on peut se livrer très longtemps à une discipline sans obligation de résultat. Naturellement, l’absence de résultats a tout de même posé beaucoup de problèmes aux alchimistes.
Didier Kahn préface le livre réédité de Nicolas Flamel ainsi:
Le plus populaire des alchimistes français ne fit jamais d’alchimie“.
Ce spécialiste nous explique donc que Nicolas Flamel n’était pas alchimiste.
Mais s’il n’était pas alchimiste, qu’était-il ?
Le premier historien à se pencher sur son cas est le savant et ingénieux Abbé Villain nous apprend Michelet en 1761. L’abbé Villain était l’historien de cette paroisse de Saint Jacques de la Boucherie. L’abbé nous dit:
C’était un riche libraire, quelqu’un qui faisait de bonnes affaires mais qui n’a jamais touché de près ou de loin à l’athanor.”
Il se trouve que l’on a conservé le brouillon de son livre à la bibliothèque historique de Paris, et ce prodige d’érudition travaillait exactement comme nous le faisons aujourd’hui, en prenant des notes et il a trouvé tout ce qu’il fallait trouver en puisant aux bonnes sources avec un grand esprit de discernement.
Selon l’abbé Villain, Nicolas Flamel aurait laissé dire qu’il avait trouvé le secret de la pierre philosophale?
C’est une possibilité que l’on ne peut pas exclure cependant rien n’autorise à le penser sérieusement. Ce qui veut dire que du temps de Nicolas Flamel on ne le soupçonnait peut-être même pas d’alchimie.
Didier Kahn pense qu’il a fallu attendre à peu près la mort de Flamel pour que la légende commence à prendre forme. Mais cette légende s’appuie sur un ouvrage incontournable. Ceci dit il est démontré que cet ouvrage est extrêmement tardif. Il date dans le meilleur des cas de la fin du XVIème.
Donc tout ce que nous venons de conter, l’apparition de l’ange, la découverte du grimoire, le cheminement jusqu’à Saint Jacques de Compostelle, l’intervention de Canches, le retour à Paris, la découverte, etc.
Tout ceci est une légende tardive née près de deux siècles après la mort de Flamel. Ce qui est admirable, c’est l’art avec lequel l’auteur de cette supercherie a réussi son œuvre. De plus, nous ne savons pas de qui il s’agit et nous perdons en conjectures à ce propos.
Cette légende a pris corps peu à peu, c’est à dire en se basant sur cet écrit et en l’étoffant.
Mais parlait-on de Nicolas Flamel comme alchimiste avant cette parution?
Oui, depuis 1561 officiellement, car c’est la date de la première publication sous le nom de Nicolas Flamel. Mais nous avons retrouvé de petits traités d’alchimie sous son nom qui datent du XVème. Nous voyons donc que la légende a commencé à prendre forme tout doucement dès la fin du XVeme.
Nicolas Flamel est-il si riche qu’on le dit?
Ce couple avait-il toutes les fondations qu’on leur prête?
Ils se livraient en fait à des spéculations immobilières qui leurs permettaient de gagner de l’argent mais nous étions aussi en pleine guerre de cent ans et les spéculations ne rapportaient pas tant que l’on pouvait le croire. Nicolas Flamel eut un procès avec les héritiers de sa femme. Ce procès a duré longtemps, on en parlait encore un demi-siècle après sa mort et c’est ce procès et la forme démesurément longue de son testament sur laquelle l’attention était attirée à cause du procès, qui ont fini par laisser penser que cet homme était très riche. Mais c’est en fait plus la longueur des procédures que l’amplitude des biens qui donne cette image de richesse.
Donc ce personnage si célèbre de Nicolas Flamel, ce grand alchimiste réputé pour avoir enfin touché du doigt ce secret que personne n’atteignait, eh bien, ce Nicolas Flamel n’était encore une fois PAS alchimiste. Et nous ne sommes plus là dans l’hypothèse mais dans une vérité scientifiquement prouvée.
Cependant, si Flamel ne l’était pas cela ne veut pas dire que les alchimistes n’ont pas existé par centaines.
D’autres avant lui étaient censé avoir découvert la pierre philosophale.
Alors cela remonte à quand l’alchimie?
Les premiers textes alchimiques apparaissent clairement au premier siècle de notre ère. On ne connait pas vraiment l’origine de l’alchimie et l’on pense qu’elle est née de tentatives de falsification et que l’on est passé de l’idée d’imitation à l’idée de fabrication artificielle. C’est à dire qu’on arrivait à teindre les métaux, à leur donner l’apparence superficielle de l’or et l’on a pensé que l’on devrait arriver à les teindre plus en profondeur.
De cette idée sont nés les premiers écrits grecs, transmis par les écrits arabes, d’où le nom d’alchimie. Tout ceci nous fut transmis par la péninsule ibérique.
Finalement, c’est vers le XIIème que l’alchimie fait son entrée dans nos textes en latin puisque l’alchimie grecque est totalement oubliée pour n’être redécouverte qu’au XVème.
Quelle en est la grande période?
On peut dire que la grande époque de l’alchimie se situe à partir de la Renaissance, et non pas parce que c’est la Renaissance, plus justement entre la moitié du XVème et les années 1670.
L’alchimie c’est aussi une sorte de parcours personnel initiatique. Il y a une dimension philosophique dans cette démarche. Mais les alchimistes font de la philosophie naturelle, ils cherchent en fait à comprendre les ressorts de la nature, ils produisent des théories sur le fonctionnement de la nature toute entière.
Il existe des alchimistes qui s’intéressent à une dimension spirituelle de la discipline mais ils le font sans jamais déconnecter cette pratique de la pratique de la pratique de laboratoire.
Ces alchimistes qui surajoutent une alchimie spirituelle et qui créent une interdépendance entre la pratique de laboratoire et une sorte d’alchimie spirituelle nous fascinent sans doute, mais il faut comprendre qu’ils étaient très minoritaires. Nous sommes donc tentés d’en parler beaucoup mais cela reste une infime part du corpus alchimiste.
Comme nous l’avons dit, l’alchimie est surement une discipline moins sulfureuse que l’on peut le penser. C’est une discipline qui a une démarche scientifique, une démarche de recherche qui n’est pas spécifiquement occulte.
Si l’on veut schématiser, on peut commencer par dire que l’alchimie ne fait rien intervenir qui soit du domaine du surnaturel.
Le mot occulte prête à confusion parce qu’au moyen-âge une science que l’on considère comme occulte signifie simplement que c’est une science dont les principes nous sont cachés, qu’il faut décrypter ou élucider. Donc en ce sens l’alchimie était considérées comme occulte mais ce n’est pas le sens que nous lui avons donné depuis le XIXème.
Existe-t-il encore aujourd’hui des alchimistes?
Oui. Ces personnages continuent encore de vouloir transformer le mercure en or et y croient dur comme fer si je puis me permettre ce mauvais jeu de mots. Et sans doute bon nombre d’entre eux croient aussi à l’authenticité de Nicolas Flamel.
Somme toute, nous n’avons jamais pu démontrer la véracité de la phrase:
Il est possible de faire de l’or
mais nous n’avons jamais pu non plus la démentir ou démontrer le contraire. Autrement dit, il est impossible de prouver que qui que ce soit ait fait de l’or mais tout aussi impossible de prouver tangiblement le contraire.
L’alchimie a donc une histoire, une histoire que l’on peut reconstituer à force de patience et de recherche.
Mais les écrits de Young (1) par exemple, qui sont eux-mêmes très intéressants, se situent de façon anachronique, anhistorique. C’est à dire que pour lui, ce qu’écrit l’alchimiste Zosime de Panopolis (2) peut parfaitement être considéré comme équivalent à ce qu’a écrit tel disciple de Paracelse (3) au cœur du XVIeme.
Ce Paracelse qui se servait en fait de l’alchimie comme d’un paradigme à la nature. Par exemple il disait que l’homme a une alchimie en lui en lieu et place de l’estomac qui transforme les aliments en nourriture.
Pour conclure, ce personnage, ce héros mythique et populaire qu’est Nicolas Flamel n’a clairement jamais été alchimiste, bien qu’il ait réellement existé.
Désolée mais la vérité ne vaut parfois pas la fiction…
A vous donc de retenir la version qui vous siée le mieux, mais en tout acquis de conscience et non plus par manque d’information.
1. Thomas Young (13 juin 1773-10 mai 1829), est un physicien, médecin et égyptologue britannique.
2. Zosime de Panopolis, gnostique né à Panopolis (auj. Akhmim), dans le sud de l’Égypte au IIIe siècle, est le plus ancien auteur connu ayant traité d’alchimie. Il vivait à Alexandrie vers 300
3. Paracelse (né Philippus Theophrastus Aureolus Bombastus Von Hohenheim en 1493 ou en 1494 à Einsiedeln, Suisse centrale – 24 septembre 1541 à Salzbourg, Autriche) fut un alchimiste, astrologue et médecin suisse, d’expression allemande (dialecte alémanique).