mercredi 11 avril 2012

LES PANTOUFLES. Samuel Van HOOGSTRATEN

Huile sur toile. 130 x 170 cm.
Entre 1654 et 1662.
Musée du Louvre.
Dans un traité paru en 1678, Samuel Van Hoogstraten écrivait:
C’est donc révéler la splendeur des tableaux que de les revêtir de l’une ou l’autre signification instructive.
Étrange affirmation qui nous laisse en proie à un sentiment de perplexité lorsque l’on devient spectateur des “Pantoufles”.
Car à sa suite, nous voici en position de se demander ce que peut être  la “révélation” d’une œuvre qui joue si ouvertement à dissimuler les indices de tout récit.
Nous nous trouvons dans un intérieur hollandais. La composition se distingue immédiatement par l’absence de personnages. Ce sentiment de vide est renforcé par la grande profondeur du champ.
La perspective est formée par la succession de trois seuils de portes, ouvertes, qui délimitent deux pièces séparées par un couloir ensoleillé. Dans ce couloir reposent les dites pantoufles.
Pourtant, si le peintre ouvre les portes de notre regard, la profondeur de la vision qu’il nous offre se heurte à l’apparente vacuité d’un intérieur dans lequel la présence humaine n’est que suggérée par des objets domestiques épars.
Par ce procédé, innovation de l’époque baroque, l’artiste nous offre le paroxysme de la vision. Celui par lequel la transparence du regard fait l’expérience de l’ambiguïté due à l’absence des maîtres de maison.
Faut il voir dans ces objets de précieux éléments iconographiques? Ce balai, rangé contre le mur de la cuisine, sur la gauche de la toile, au même titre que la paire de pantoufles négligemment abandonnée dans le couloir, sont-ils là pour suggérer la douceur, le confort du paisible, une sorte de “dimanche de la vie” ?
Ou alors ces artefacts plaident-ils en faveur d’une célébration du monde concret? Une harmonie subtile entre la matière du quotidien et la substance du temps, dans l’un de ces moments dérobé, cet instant d’intermittence ou la densité des objets épanouie par leur simple présence?
Si la composition de Hoogstraten repose essentiellement sur l’emboitement de cadres dans le cadre, à la faveur de ces trois seuils successifs, on ne s’étonne pas que le point de convergence du regard soit justement un tableau autour duquel se place un écheveau d’indices signifiants.
Située dans la profondeur du champ, la toile représente un jeune garçon se tenant debout, près d’un lit et d’un tabouret. Sa main droite amorce un geste en direction d’une femme élégamment vêtue vue de dos. Peut-être s’agit-il de sa mère, rien ne semble l’infirmer. Elle fait face au drapé délicat entrouvert, le drapé des rideaux rouges du baldaquin.
Le geste suspendu du personnage fait alors écho à la bougie qui se dresse sur la table et le trousseau de clés pendu à la porte. La bougie, la serrure et la main forment ainsi les sommets du triangle d’un penchant trouble dont le peintre a trouvé la solution figurative par les voies de la suggestion. Parce que l’intrigue de la scène est inscrite dans ce tableau, dissimulée, l’on peut penser que le complexe d’œdipe prend ici corps, dans ce désir d’union inscrite dans la chair profonde de l’image.
Ainsi est-il possible de voir dans les pantoufles le symbole de la peinture inscrite dans la force de son ambivalence, entre instruction du spectateur et opacité d’un monde énigmatique, entre le désir de contact et la prégnance de la distance.
Ici se fait jour l’expérience du séculaire désir de fusion dans l’image et le respect d’une loi d’inspiration mosaïque. L’absence des personnages et les limites inscrites dans les portes emboîtées en serait la figuration implicite.
A l’image des pantoufles, le spectateur naît dans la lumière, mais, éternel profane, se contente de demeurer sur le seuil de l’objet de sa contemplation.
Le tableau dans le tableau nous livre peut être la clé de l’absence de l’homme dans l’image. Il semble nous indiquer que si rien n’est vide, ni insignifiant parmi les choses, la porte s’ouvre à notre perception  justement que parce qu’il n’y a “rien a voir”…

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