Critiques d'artistes


Un carnaval de couleurs ensoleille Longwy


Au départ, j’admets que la photographie ce n’est pas ma préférence. Ces expositions de clichés sur papier glacé me laissent souvent froide, sûrement par insuffisance de matière picturale. Ce n’est pas sur cette forme d’expression que se retourne principalement ma sensibilité.
 Mais à l’aimable invitation de Marc Sendron à me rendre au vernissage de l’exposition de Michel Zeni, ma curiosité n’a pu résister. C’est ainsi que j’ai franchi la porte de la librairie Virgule à Longwy haut.

Ce qui m’a frappée dès mon arrivée, c’est qu’en dépit de l’utilisation de la thématique de carnaval vénitien - triviale avouons-le -, au mépris du décor évident qu’est Venise, j’ai ressenti dans chaque image une émotion propre, un sentiment particulier. « A fleur de peau » est l’expression qui me vient au premier regard. Les quinze années que Michel Zeni a passé à battre le pavé ausonien sont à l’évidence en cause. Pourtant loin de la routine, je ressens dans son approche  une pudeur, une courtoisie pour ses modèles, empreinte d’humilité, sans jamais se défaire d’une délicieuse élégance.
Ce sont ces raisons qui m’ont amenée à prendre le temps de contempler ces prises de vues. Une à une, je m’en suis imprégnée.

Puis se présente un second motif de surprise : l’absence de public sur les images. On se fait une idée du carnaval de Venise faite de l’amalgame plus ou moins heureux d’un cortège chatoyant englouti par une nuée de badauds. Ça m’interpelle.

Plus que des photos de costumes  ce sont des histoires qui nous sont contées à chaque épreuve de l’artiste. La texture des étoffes fait singulièrement  corps avec la pierre du palais des doges par son contraste. Avec une belle habileté le paradoxe devient évidence.
Je certifierais du reste que chaque visage a son éclat intrinsèque, la clarté paraît émaner de l’intérieur de chacun d’eux. Une aporie m’étonne encore : l’expressivité qu’a réussi à faire naître le photographe sur ces masques pourtant impassibles par définition.
La prise de vue quant à elle me semble spontanée, comme une image dérobée au détour d’un battement de cils, comme un hasard alors que l’on détourne la tête et  entrevoit ce qui aurait pu nous échapper.

L’ironie se symbolise à la perfection dans ces hommes /femmes, ou vice versa, l’illustration lyrique du 3ème sexe ? On ne sait qui se cache derrière les transvestismes, ce pourrait-être vous, moi, un anonyme ou un familier, une célébrité ou un inconnu. Cela a-t-il véritablement une importance ? Ces démiurges voient le jour par l’enfantement fragile d’une rencontre homérique et sont immortalisés par un portrait, filigrane immuable d’un temps suranné. Une fois encore, ou je devrais discerner des couleurs et des déguisements, j’envisage des destins, des silhouettes évanescentes, hôtes coutumiers des ténèbres séculaires mis à jour par l’objectif.

Certains clichés m’inspirent une subtile mélancolie. Mélancolie d’un temps qui n’existe déjà plus. Par les fenêtres des masques, les regards sont présents, prégnants.
Cependant je ne sais si je dois ressentir joie ou tristesse face à ce Pierrot porteur de l’éphémère. Jovial, pourtant son regard s’attarde tristement sur le sort immanquable de la rose gracile qu’il tient en main. A la fois il lui rend hommage, hommage à sa beauté, lui rendant grâce d’avoir existé, de nous avoir livré ce qu’elle a de plus beau sans compter. Mais je suis chagrinée par cette fleur fragile car nous l’avons déjà perdue. Cette beauté, provisoire dans sa substance, me rend aussi vulnérable.

Je me souviens encore de ces deux personnages au-devant de la lagune. Ils sont nets, elle est floue et pourtant omniprésente. L’arrière-plan évince quasiment le sujet à l’image des perspectives en sfumato de Vinci.

Ou femme en blanc, icone du siècle dernier, comme oubliée dans ce décor en noir et blanc, semble faire corps avec le pavage du sol. On croirait voir en son drapé la continuité de la perspective des dalles, semblable à celles d’Escher ou les lignes de fuite finissent par se confondre avec le motif pour ne faire qu’un. Je m’imagine alors un souvenir jailli du sous-sol. Je retiens mon souffle par crainte de l’effrayer et voir ce délicieux tableau s’évanouir sous mes yeux incrédules.

Chaque représentation est à couper le souffle et, assemblées entre elles, laissent le sentiment d’en vouloir encore. Il y a tant de belles choses dans ces photographies que je ne pourrais les citer toutes.

Je retiens spécialement une remarquable sensibilité au service de la couleur, sans fausse note.
Cette exposition me conforte finalement dans l’idée que l’on gagne à savourer les œuvres d’un amateur passionné au strict opposé de l’un de ces professionnels désabusé et désabusant. Car au-delà de l’esthétique évidente s’offre le regard sincère et authentique de Michel Zeni.

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